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Les origines du judo →

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Les fondements
du judo →

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Le judo en France →

Chapitre 4

Le judo en compétition →

Chapitre 5

Le France, grande nation du judo mondial →

Chapitre 6

Le Judo aux JOP →

Jigoro Kano ou la
naissance du judo

Rendre la société meilleure par l’éducation et la pratique du judo, c’est l’idée clé de Jigoro Kano, l’héritage de cette discipline née il y a plus de 130 ans.
© Collection EDJ / Yves Cadot

Membre de la caste guerrière

Jigoro Kano est né le 28 octobre 1860 à Mikage près de Kobe. Son père, Jirosaku Mareshiba, a été adopté par le père de Sadako Kano, la jeune fille qu’il épouse et à qui il fera cinq enfants, deux filles et trois garçons. Le patriarche, grand père de Jigoro Kano, est séduit par la vivacité d’esprit du jeune homme et l’adopte malgré ses enfants légitimes – une pratique relativement courante à l’époque – tout en lui donnant une de ses filles en mariage. Brillant, Jirosaku Mareshiba, ou Kano, partira rapidement à l’aventure, le plus souvent loin de la maison familiale, pour laquelle il finira par obtenir le privilège du port des sabres, ce qui fait du jeune Jigoro Kano un membre de la caste guerrière.

Sake et shinto

Jigoro Kano est le dernier de la fratrie de cinq enfants. C’est avec sa mère, son grand-père et ses tantes qu’il grandira, dans un domaine qui comporte une brasserie de sake et un sanctuaire shinto, dont la famille a la charge depuis plusieurs générations. Aussi vif d’esprit que son père, le jeune Kano se forme avec les meilleurs précepteurs de la région et se dote d’une large et solide culture classique. Il a le goût de la science et de l’astronomie, mais s’interroge déjà sur la façon dont il sera le plus utile. La religion, seule force capable de faire bouger le monde ? La politique, pour influer directement sur la société ? Il rêve de monter retrouver son père à la capitale.

La famille Kano Shihan – © Auteur non identifié

Le destin exauce cruellement son souhait : sa mère tombe malade et décède l’année de ses 10 ans. Son père, alors l’un des secrétaires du ministère de la Marine, le fait venir auprès de lui à Edo, depuis deux ans à peine désignée sous le nom de Tokyo. Jigoro va, à sa façon, y changer le pays, et le monde.

Jigoro Kano en 10 dates

1860

1870

1877

1882

1889

1895

1912

1922

1933

1938

Jigoro Kano naît le 10 décembre près de Kobe. Son père est un haut fonctionnaire de l’état japonais et souvent absent du domicile familial, mais ces fonctions lui permettent d’obtenir le droit du port de sabres et de faire de sa descendance des membres de la caste guerrière.

Alors âgé de 10 ans, Jigoro Kano perd soudainement sa mère, emportée par la maladie. Son père va alors le faire venir à ses côtés. Le jeune Kano découvre l’effervescence de la capitale, Tokyo.

Alors que son père le lui a jusqu’ici interdit, Jigoro Kano profite de l’autonomie grandissante dont il dispose progressivement pour découvrir le jujutsu à la Tenjin Shinyo-ryu, et se lance à corps perdu dans l’apprentissage des techniques de combat à mains nues.

Étudiant brillant, Jigoro Kano est en avance sur son temps. À 21 ans, il a déjà créé 3 écoles ! La plus connue est le Kodokan, qui accueille le premier dojo dédié au judo. 140 ans plus tard, le Kodokan accueille toujours les judokas japonais et imprègne toujours sa culture à travers le monde.
Alors qu’il évolue déjà, malgré son jeune âge, parmi les hautes sphères de la société japonaise, Kano effectue son premier voyage en Europe. Il durera 2 ans.
Plus de 10 ans après la création du Kodokan, Jigoro Kano écrit, avec la collaboration de ses élèves, son premier Gokyo : un registre constitué de 40 techniques et projections.
Pleinement investi dans le développement des Jeux Olympiques dans son pays, Jigoro Kano accompagne la première délégation olympique japonaise dont il est le chef, aux Jeux de Stockhölm en 1912. La délégation est composée de seulement 2 athlètes.

Après 40 ans de perfectionnement des principes et de l’apprentissage du judo, Jigoro Kano, formalise le concept de « Meilleure utilisation de l’énergie » (qui deviendra plus tard « Bonne utilisation de l’énergie), qui est encore aujourd’hui le principe technique fondateur du judo. Quelques années plus tard, Kano travaillera sur le concept « Entraide et Prospérité mutuelle » dont le but est de contrer une interprétation individualiste de la réflexion autour de la meilleure utilisation de l’énergie.

Malgré de multiples voyages en Europe, Jigoro ne dispense sa toute première conférence sur le judo en France qu’en 1933.

Alors âgé de 77 ans, Jigoro Kano meurt sur le paquebot Hikawa Maru, de retour d’une conférence du Comité International Olympique, dont il était membre depuis 1909.

L’ambition de changer la société

Étudiant remarquable, son père l’inscrit dans de nombreuses écoles privées à son arrivée à Tokyo, dont l’une est spécialisée dans les langues occidentales, et il apprend l’anglais et l’allemand. C’est là qu’il rencontre un Américain invité par le gouvernement pour fonder la future École Normale Supérieure du Japon, lieu de l’actuelle université de Tsukuba (qu’il dirigera plus tard). Il devient ainsi l’un des meilleurs anglicistes du pays. Il entre ensuite dans la prestigieuse université de Tokyo qui vient tout juste d’être créée, où il est le plus jeune étudiant. 

Confiance

À la sortie de ses études en sciences politiques et économiques, qu’il a prolongé par un diplôme de philosophie, Kano devient professeur et bientôt directeur par intérim au « Gakushû-in », un établissement d’enseignement d’élite réservé à la très haute aristocratie, notamment les héritiers impériaux eux-mêmes ! Hirohito et Akihito, les deux derniers empereurs du Japon, y seront notamment formés.

Il est officiellement représentant de la Cour Impériale pour une mission de seize mois, du 13 septembre 1889 au 16 janvier 1891, pour étudier les systèmes d’éducation européens et leur organisation. Sa conviction se forge progressivement : c’est finalement par l’éducation qu’il pourra le plus efficacement se mêler à la mise en mouvement salvatrice du Japon.

Précocité

Kano a l’ambition de rendre la société meilleure. Il a compris que l’homme est à la base de tout et qu’il faut commencer par éduquer les hommes, un par un. Dans l’esprit élitiste, on en éduque un qui est destiné à faire de grandes choses. Mais Kano considère que pour changer la société, il est bien plus efficace d’en changer un million. Cent millions ? On change le monde.

Ceux qui n’ont pas reçu une bonne formation morale de leur éducation générale, quelle que soit leur puissance, peuvent commettre des erreurs d’appréciation. Quelle que soit notre puissance, quand on l’emploie dans une direction erronée, cela ne profite à personne et l’on se trompe soi-même. Si, au contraire, notre puissance, même faible, est employée dans la bonne direction, le bien qui en résulte peut certainement profiter, proportionnellement à cette force, aux autres et nous être utile.

Jigoro Kano

Soutenir un monde en déséquilibre

Pour être à la hauteur de ses ambitions, le jeune Kano peut compter sur un contexte social favorable. Kano a huit ans quand débute l’ère Meiji et le règne du nouvel empereur Mutsuhito, âgé de quinze ans. Alors qu’il retrouve la figure tutélaire de l’empereur, le Japon est confronté à la curiosité et l’ambition dominatrice des grands pays occidentaux. Le pays fait alors face à ses limites, celles d’un archipel sauvage de deux-cents pays différents, avec des frontières intérieures et autant de langues, un peuple hiérarchisé en castes imperméables avec les guerriers au sommet, les paysans loin en dessous, puis les artisans et les commerçants en dernier, un gouvernement qui a signé des accords commerciaux déséquilibrés pour complaire aux envahisseurs. Le Japon fait alors le pari d’une révolution complète, une modernisation à marche forcée en faisant confiance à la jeunesse du pays. Jigoro Kano va s’inscrire dans ce mouvement national.

L’empereur Meiji se rendant de Kyoto à Tokyo en 1868 – © Le Monde illustré, 1869

Le
Kodokan
école pour étudier la Voie
Le
Kano-Juku
école privée pour les membres du Kodokan
Le
Kobunkan
une école de lettres de niveau universitaire

Un philosophe en action :
trois écoles fondées à 21 ans !

À seulement vingt-et-un ans, tout juste diplômé de l’université de Tokyo en 1881, et alors qu’il accepte un poste de fonctionnaire d’État dans un établissement de grand prestige, il fonde trois écoles privées, gratuites, ainsi qu’un pensionnat. Il loue les locaux du Eisho-Ji, un temple de la Asakusa-Dori à Tokyo, où il crée le Kodokan, son « école pour étudier la Voie », le premier dojo de judo. Dans le même temps, il ouvre le Kano-Juku, une école privée pour les membres du Kodokan, et bientôt pour des enfants qu’on lui confie. Dans d’autres locaux encore, il ouvre le Kobunkan, une école de lettres de niveau universitaire mais son départ pour presque deux ans en Europe en 1889 met fin à cette dernière expérience, mais le Kano-Juku perdurera trente-neuf ans. Le Kodokan, lui, est toujours là, et c’est une sacrée histoire.

Une passion, deux maisons !

L’idée chez lui remonte à loin. Enfant frêle, dans le domaine familial déjà, il demande à ceux qui en ont fait l’expérience de lui enseigner des éléments de jujutsu. Sa confiance en lui supporte mal de composer avec cette faiblesse et il veut pouvoir aussi s’imposer physiquement, lui qui domine sa génération intellectuellement. Son père s’opposera à cette lubie jusqu’à l’adolescence du jeune homme et sa prise d’indépendance.
À l’université, il fait l’expérience des pratiques physiques à l’occidentale, gymnastique, aviron, baseball, course… mais il est aussi en quête du professeur qui se refuse à lui depuis trop longtemps. Ce jeune adulte de 1,60m et de moins de 50kg n’en démord pas, il fera du jujutsu. Il mène l’enquête auprès des chiropracteurs de Tokyo, qui ont la réputation d’être pour certains d’anciens combattants.

À partir de 1877, ce sera la Tenjin shinyo-ryu sous la direction de Fukuda Hachinosuke, dont il fréquentera avec passion le dojo tous les jours pendant deux ans jusqu’à la mort de celui-ci. Son professeur lui livre tous les écrits et la direction de l’école. Il poursuivra son enseignement avec Iso Masatomo, qui meurt lui aussi, en 1881.

Il est alors accepté par Iikubo Kōnen – héritier d’une autre école, la Kitō-ryu – et qui lui donne en 1883 le menkyo kaiden, c’est-à-dire l’autorisation d’enseigner le style. À cette époque, Kano lui-même considère qu’il passe l’essentiel de son temps au dojo et qu’il néglige un peu ses études. Mais il a pris conscience de la vertu de cette éducation par le geste et le corps, et la façon dont elle lui fait du bien, non seulement sur le plan physique, mais aussi sur le plan mental.

À la Tenjin shinyo-ryu, il apprendra à dominer les contrôles, debout et au sol. À la Kitō-ryu, il aborde le domaine subtil des déséquilibres et des projections. Il racontera avoir été stupéfait de la facilité avec laquelle son professeur le projetait sur leurs premiers randoris. Progressant dans l’expérience, Kano finit par comprendre par lui-même les modalités d’un déséquilibre réussi, finissant même par prendre le dessus sur lui. Bien qu’il fonde le Kodokan dès 1882, il se rendra régulièrement chez Iikubo Kōnen, jusqu’en 1888, date de la mort de son dernier maître.
Alors, moi qui autrefois étais extrêmement colérique et du genre à m’échauffer facilement, je me rendis compte que, grâce au jujutsu, non seulement ma santé physique croissait, mais que mon état d’esprit également se calmait peu à peu et que j’avais atteint une capacité de maîtrise de moi extraordinairement forte. Je ressentis également que les principes du combat de jujutsu pouvaient s’appliquer dans beaucoup d’autres domaines de la société.

Jigoro Kano

Le judo, comme une évidence

Jigoro Kano fonde son école du Kodokan – le lieu où l’on étudie la Voie – avec la pleine conscience de la richesse globale de son projet. Il s’agit d’abord dans son esprit de réunir tous les éléments des écoles de jujutsu qu’il a personnellement étudiées, ou dont il a collecté les données dans des recherches assidues de documents ou de témoignages, avec l’idée de faire une synthèse pertinente, un art de combat japonais proche de la perfection. Mais aussi, en s’appuyant sur cette pratique, d’offrir à tous le même parcours que lui, la même formation physico-psychique. Témoin des limites pédagogiques de l’apprentissage du jujutsu à l’époque, il met un point d’orgue à développer une méthode d’enseignement différente, basée sur la mise en pratique (randoris) davantage que l’apprentissage théorique (kata).

Le judo comme simple moyen d’attaque et de défense n’est pas si important, mais le principe dont j’ai ressenti grandement les bénéfices, et qui est largement applicable ailleurs, réside dans ce que nous apporte ce renforcement et cette formation physique et spirituelle. Aussi, je pensai : « dorénavant, tout en étant une méthode d’attaque et de défense, il faut l’enseigner comme la recherche d’un principe précieux, c’est-à-dire comme une méthode de renforcement et de formation à la fois du corps et de l’esprit. De plus, il ne faut pas se contenter d’une école de jujutsu mais il faut prendre dans toutes ce qu’elles ont de bien et y ajouter une idée appropriée afin que le monde actuel en bénéficie. » C’est ainsi que j’en arrivai à la création du Kodokan et que je décidai globalement qu’il ne reposerait pas sur une école unique de jujutsu, que son but serait l’étude approfondie de ce principe, l’entraînement et la formation physique et spirituelle, et des exercices consistant en une méthode d’attaque et de défense.

Jigoro Kano

Jigoro Kano à l'ambassade du Japon en Allemagne (1936)
© Collection EDJ / Yves Cadot
Jigoro Kano et deux élèves
© Collection EDJ / Yves Cadot

Il s’agit d’une étude approfondie du principe « Ju », d’une synthèse pertinente des techniques qui peuvent l’incarner, réunies dans le gokyo, qui les classe en diverses catégories. Mais c’est aussi une méthode, fondée principalement sur le travail libre, en mouvement, du randori. Sur ces bases, l’école de Jigoro Kano va rapidement conquérir ses galons d’école la plus dynamique de sa génération, et finalement s’imposer comme la synthèse réussie pour un monde moderne des anciens jujutsu.

Le fondateur du judo passera le reste de sa vie à affiner sa méthode et à en faire la promotion au delà des frontières de son pays. Membre actif du Comité National Olympique du Japon à partir de 1907, il multipliera les voyages en Europe et en Amérique du Nord pour des conférences et des démonstrations. C’est d’ailleurs sur le retour de l’un de ces voyages que Jigoro Kano décèdera d’une pneumonie, sur le paquebot Hikawa Maru.

La méthode Kano vue par Yves Cadot

La méthode Kano à ses débuts

L'évolution de la méthode