Ichiro Abe,
le maître de Toulouse

Ichiro Abe (1922-2022)
- Université : Tsukuba
- Date d’arrivée en France : 28 novembre 1951
- Période : 1951-1953 (2 ans)
L'élégant du Kodokan
Né dans la préfecture d’Akita, sur l’île de Honshu, au nord du Japon, Ichiro Abe fut successivement élève de Nagaoka (10e dan), Hashimoto, Otaki et Matsumoto. Passé par l’université de Tsukuba, celle de Jigoro Kano, il fut plusieurs fois finaliste de compétition au Kodokan. Mais Abe est avant tout un professeur brillant techniquement. Il est même considéré comme le meilleur quatrième dan du Kodokan (lui affirme être déjà sixième dan, NDLR), quand, à vingt-neuf ans, il est envoyé en France à la demande du Centre Culturel Français pour l’Étude du Judo, le « Shudokan » de Toulouse, créé en 1947, qui l’invite pour deux ans. Quel rôle a joué alors le Kodokan pour sa venue, alors que la montée en puissance de la France intriguait et inquiétait peut-être l’institut qui n’y avait pris aucune part ? Difficile à dire. Le Kodokan réfuta par la suite qu’il eut été son représentant officiel… Sans doute la France fut-elle néanmoins à cette époque le théâtre d’un épisode feutré de la joute ancienne entre le Kodokan de Jigoro Kano, l’école de la synthèse des jujutsu à Tokyo, moderne dans ses visées, et les centres d’entraînement régionaux, dont le Kansai et son Butokukai à Kyoto, plus conservateur dans les méthodes et marqué par la mentalité guerrière du vieux Japon.
Un judo tout en mouvement

À ce moment-là, l’enjeu caché est incompréhensible aux Français. Dès son arrivée dans le club haut-garonnais, c’est l’effervescence autour de ce judoka au judo particulièrement élégant, où le mouvement combiné au travail du déséquilibre est plus élaboré et enfin expliqué. Les ceintures noires toulousaines, au premier rang desquelles Gilles Maurel, Raymond Angevin et Pierre Brousse, profitent du « meilleur judo que l’on ait jamais vu… Ce judo de l’âge d’or, un judo tout en mouvement, élégant et efficace » décrit le regretté Guy Pelletier, devenu professeur emblématique du judo français, il y a quelques années. Une révolution technique. La réputation du « Japonais de Toulouse » atteint rapidement la capitale. Du coup, très vite, la génération qui cherche au-delà de Kawaishi, celle des Jacques Belaud, Luc Levannier, Guy Pelletier, André Debard, Raymond Moreau, Jean Pujol, Pierre Roussel, Georges Baudot ou encore Bernard Midan, descend régulièrement s’entraîner à Toulouse pour devenir les élèves « Kodokan » de l’époque, et bientôt les porte-parole de son judo et de son style. Il sait tout faire et, surtout, ses décalages d’appui, ses déséquilibres en vague fascinent.
Il révolutionne
la méthode Kawaishi
Abe ? Un schisme technique dans le judo français, qui émerveille, énerve aussi. La querelle entre les « Kodokan » qu’il incarne et les « Kawaishi » est virulente. Les premiers reprochent aux seconds de nuire à l’évolution technique et de « confisquer » le judo à des fins personnelles et mercantiles. Les seconds aux premiers de briser l’unité du judo français, notamment depuis qu’ils ont créé, en 1954, l’Union Fédérale Française d’Amateurs de Judo Kodokan. Les élèves de Mikinosuke Kawaishi désignent Ichiro Abe comme l’espion du Kodokan, venu là pour contrôler et diviser. Il n’ira jamais voir son « voisin » Haku Michigami, mais disciple de Kyoto, à Bordeaux. À la fin de l’année 1953, alors que son contrat arrive à terme, il est recruté par la fédération belge. Il y restera durant seize ans, avant de rentrer au Japon. Là-bas, il devient directeur du Kodokan de 1969 à 1977, puis directeur du Conseil du Kodokan de 1997 à 2004.

Promu au grade de dixième dan (seuls quinze judokas ont atteint cette distinction à ce jour) le 8 janvier 2006 en compagnie de Toshiro Daigo et Yoshimi Osawa, il fut, jusqu’à sa mort à l’âge de 99 ans, l’une des dernières grandes figures du judo des pionniers. En quelques mois d’intervention en France, et par son influence en Belgique, il a révolutionné la méthode intuitive de Mikinosuke Kawaishi, mettant l’accent sur une autre dimension pédagogique, la mise en situation de la technique dans le mouvement et l’importance du travail de préparation. Une autre pédagogie qui a donné au judo français une forme de maturité nouvelle par la prise de conscience que les choses « n’étaient pas si simples ». La complexité et l’exigence, un beau cadeau.

Son influence
- La prise de conscience en France de la complexité du travail de préparation
- La création d’un courant « dissident » autour de ce thème et d’un style plus mobile
- La mise en avant en France d’une certaine idée du judo, plus idéaliste et exigeante
- La création d’un lien plus étroit entre la France et le Kodokan
- Une part de la formation de grands professeurs français, Pelletier, Levannier…