Haku Michigami,
le samouraï de Bordeaux
Haku Michigami (1912-2002)
- Université : Busen
- Date d’arrivée en France : 11 juillet 1953
- Période : 1953-2002 (49 ans)
École Busen
Né à Yawatahama, sur l’île de Shikoku, Haku Michigami devient ceinture noire à quinze ans. Décidé à entrer à l’université de Waseda alors qu’il est déjà troisième dan, il se laisse convaincre par son professeur Akamatsu de prendre part à une formation plus classique à Kyoto Busen (Budo Senmon Geiko), celle de l’élite militaire, une université de prestige très sélective… qui le refuse une première fois pour une blessure ancienne. Mais le jeune homme, élevé dans la tradition du Japon strict et sévère d’alors, est têtu : un an plus tard, et après un crochet par l’université de Ritsumeikan, il se présente à nouveau, passe le concours d’entrée et fait partie des vingt admis. Mieux, il est reçu deuxième sur 650 candidats. Busen, c’est la marque de la discipline, de la hiérarchie très marquée aussi entre les cadets et les aînés. Haku Michigami s’entraîne quatre heures par jour. Il devient capitaine de l’équipe en deuxième année.
Malgré une rupture des ligaments croisés, il refuse d’abandonner ce qu’il considère être une responsabilité. Il ne restera donc pas hors du tapis durant les six mois nécessaires et ne pourra jamais plus plier son genou au-delà de 90°. Cette année-là, Busen remporte les dix-sept combats contre des judokas d’Hiroshima désabusés. Il fut aussi de la première équipe contre le Kodokan.
Un caractère de leader
Façonné successivement sur le plan technique par les maîtres Isogai, Tabata (inventeur du o-uchi-mata dans le nage-no-kata), Fukushima et Kurihara, son caractère de leader s’affirme. Certifié professeur en 1938, il enseigne alors à la Kochi High School. Mais l’appel de l’étranger est là et il saisit deux ans plus tard l’opportunité de s’installer à la Toa Dobunshoin University de Shanghai. Il y fait fortune, amassant quelque 2,5 millions de yens de l’époque. Mais le Japon est en guerre. Il revient à grand-peine dans sa ville natale, alors même que le Japon subit le bombardement atomique en août 1945. Il a fait transférer l’argent à Kobe… où tout a brûlé. Michigami aurait pu être un homme riche… Il a tout perdu. Il enseigne bien le judo à quelques soldats écossais, mais la prohibition des arts martiaux, décrétée par les troupes d’occupation du Général McArthur, le prive de judogi. Michigami achète alors un bateau et se met à la pêche durant trois ans. Il le sait, son destin est ailleurs. 1948 marque la renaissance du judo dans l’archipel. Il est engagé par la ville et la police pour enseigner à nouveau. Il l’envisage comme une mission d’intérêt national pour relever le Japon. Il installe seize tatamis au deuxième étage de l’immeuble de la police et crée le Hassei Judokai avec l’aide de Muneaki Shimizu. Il lui faudra pourtant attendre encore cinq ans et l’âge de quarante ans pour enfin réaliser son rêve de toujours, « imiter » l’expatriation de Mitsuyo Maeda (Waseda), promoteur des arts martiaux autour du monde, celui qui lui donna l’envie de faire du judo.
Bordeaux plutôt que les États-Unis
La France ? On y vient. En 1953, Paul Bonét-Maury, président de la FFJJ, se trouve à l’Hôtel Impérial de Tokyo avec Tamio Kurihara, son professeur – spécialiste de sol, ce dernier est venu en France en décembre 1951 pour trois mois au moment des championnats d’Europe organisés à Paris avec une délégation du Kodokan. Il le recommande pour aller entraîner en France durant un an. Michigami reçoit dans le même temps une offre de San Diego en Californie. Les États-Unis ont sa préférence, mais puisque l’offre vient de son sensei… Le billet Tokyo-Paris arrive deux semaines plus tard. Il quitte le sol japonais le 11 juillet 1953.
Mikinosuke Kawaishi, Ichiro Abe, Shozo Awazu et même Hiroo Mochizuki (qui créera le yoseikan budo) sont arrivés avant lui, et c’est finalement discrètement que ce judoka, déjà septième dan alors âgé de quarante ans, débarque à Orly. Paris, puis très vite Thonon, Biarritz, Arcachon… Après un mois au Kawaishi Dojo où il côtoie Shozo Awazu, il se rend à Bordeaux pour entraîner la zone Sud-Ouest. C’est la rencontre avec le dojo d’André Nocquet.
Il ne perdit jamais
En novembre à Paris, un gala est par ailleurs organisé pour lui : il prend une ligne de dix combattants qu’il bat un à un en six minutes et trente secondes. Il répétera l’exercice à de nombreuses reprises, parfois face à des lignes de vingt combattants. Avec, à chaque fois, ce couperet : une défaite et c’est le retour au Japon. Mais il ne perdit jamais. Le combattant est respecté, le professeur tout autant. Alors qu’on lui demande « qu’est-ce que le judo ? », puisqu’il ne maîtrise pas suffisamment l’anglais, Michigami choisit d’expliquer sa pensée avec « shin » « gi » et « tai » associés. Des mots qui résonneront pour devenir un concept. Lors d’une interview parue en 2002 dans Nihon Keizai Shinbun, il expliquera d’ailleurs avoir employé ces mots spontanément, n’ayant jamais entendu cette expression auparavant. Juillet 1954 : la classe de Michigami (1m73, 78 kg à son arrivée, un peu moins de 70 kg quelques mois plus tard suite au changement de climat et de nourriture), a fait des émules. Mais cela fait déjà un an qu’il est en France. Son « contrat », déjà peu payé, arrive à son terme. Michigami doit repartir au Japon… La France lui demande de rester même si elle le balade un peu. Le lien avec Bordeaux, qui donnera naissance au JC Bordelais en 1956 (pour la formation des kyu) et, en 1963, à l’école de judo Michigami (perfectionnement des ceintures noires), est de plus en plus fort.
L’hiver suivant, lors d’un entraînement, il impressionne tellement un groupe de Néerlandais qu’ils lui proposent de venir les entraîner aux Pays-Bas. Il refuse. Ils le veulent. En mai de la même année, les Bataves font 1 250 km en voiture et ne serrent le frein à main qu’une fois arrêtés devant le dojo à Bordeaux. Leur abnégation finit de le convaincre. Michigami devient ainsi DTN des Pays-Bas jusqu’en 1968, se rendant tous les deux mois aux Pays-Bas, passant le reste de son temps à Bordeaux. Le résultat ? Michigami entraîne celui qui deviendra une star : Anton Geesink.
Il lui conseille notamment de travailler physiquement. Lors des championnats d’Europe 1957 et 1958, les Pays-Bas de Geesink font un carton. Surtout, Geesink, médaillé en 1956, deviendra le premier champion du monde non Japonais en 1961. Michigami sera à ses côtés durant toute la compétition. Geesink bat les Japonais Kaminaga en quarts, Koga en demie, puis Sone en finale au sol. Après avoir annoncé qu’il ne ferait pas le déplacement, il ne résiste finalement pas à se rendre aux Jeux Olympiques de Tokyo en 1964. Michigami emmène pour l’occasion cent -un Français en avion charter avec lui. Geesink apprend qu’il est à Tokyo, le fait chercher partout, le fait entrer au stade et, le 21 octobre 1964, Geesink devient champion olympique sur gesa-gatame sous ses yeux. Une belle histoire.
Écarté du projet fédéral
Avec la France, les choses sont différentes. À la rupture de la fédération et du Collège des Ceintures Noires en 1956, soutenant par conviction le Collège pour les critères d’obtention de la ceinture noire et les katas, il en devient le directeur technique. La « rupture » avec la fédération est consommée, Michigami fait figure d’opposant. Kawaishi et Awazu sont à Paris, il y a donc peu de place pour lui et il s’installe définitivement en Gironde. Il fait même, à cette époque, l’objet d’une enquête pour « communisme » de la part du ministère des Affaires étrangères… Sur le sol français, mais « écarté » du projet fédéral, il dispensera jusqu’en 2002 des cours dans plus de trente pays du monde, formant des milliers de ceintures noires et laissant, en héritage, le style et l’état d’esprit Michigami, un judo traditionnel notamment incarné par le Judo Club Bordelais et l’Académie de Judo Michigami.
Son influence sur le judo
- Initiateur du concept Shin-Gi-Tai
- Formateur d’Anton Geesink et acteur majeur de la victoire de l’Europe sur le Japon aux JO 1964 (succès de Geesink sur Kaminaga) faisant du judo un sport mondial
- Directeur technique du Collège National des Ceintures Noires, dont la rupture – fracture entre la tradition et le sportif – intervient en 1956 avec la fédération, une école de judo traditionnel, le Cercle Maurice Philippe, devenu Cercle Pédagogique de Judo Traditionnel en 1967
- Héritage laissé à travers l’école Michigami