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Le France, grande nation du judo mondial →

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2021

Équipe de France

Une première à jamais

Face à un Japon intouchable à priori, l’équipe de France a su croire en elle pour relever le défi et emporter l’une des plus belles médailles d’or de ces Jeux de Tokyo 2020. Toute la France en a frissonné !

Tokyo 2020 © Collection EDJ
Teddy Riner l’avait dit. Et s’il revenait de Tokyo non pas avec une, mais deux médailles d’or ? Derrière son titre individuel espéré, il parlait bien sûr de la première compétition par équipes au Jeux de l’histoire du judo. À vrai dire, l’idée semblait plus une bravade qu’une vision de l’avenir, tant le Japon avait jusque-là dominé cette compétition mixte inventée quatre ans plus tôt, pour quatre victoires successives du pays du judo. Il faut dire que ce format nouveau – trois combattants et trois combattantes réunis dans un groupe de six par catégories de poids (-57kg /-70kg /+70kg pour les féminines, -73kg/-90kg/+90kg pour les masculins) – favorise les pays de judo capable de présenter des athlètes de très haut niveau aussi bien chez les féminines que chez les masculins, ce qui est le cas du Japon… mais aussi de la France, trois fois finaliste de l’événement. Bien que toujours dominée, l’équipe de France pouvait donc tout de même espérer fermement une nouvelle médaille, et tenter cette fois de bousculer le Japon à la maison. Et si Teddy avait raison ?

Pinot sauve la France

La veille, tout s’est effondré. Teddy Riner a perdu. Après cinq ans de patience, de préparation minutieuse, à trente-deux ans, le patron du judo français, le capitaine de cette équipe de France a vu son rêve des trois couronnes olympiques s’effondrer. Même s’il est allé chercher une médaille de bronze difficile à prendre, pouvait-il venir défendre le collectif, repartir au combat pour l’équipe ?

Teddy est bien là finalement. Leader souriant et omniprésent à l’échauffement, il s’est emparé de ce groupe et compte bien le pousser vers l’exploit. Gagner ce défi à Tokyo semble improbable, mais avec les meilleurs Français réunis pour la première fois, quelque chose de fou est possible… Encore faut-il passer les tours, et notamment le premier contre Israël. Mauvaise surprise, la vice-championne olympique Sarah-Léonie Cysique se fait surprendre par une « bête noire » naissante, Timna Nelson-Levy, ippon sur petit fauchage extérieur. Heureusement, Guillaume Chaine remettait de l’ordre dans la maison avec une victoire sur Tohar Butbul, mais la titulaire des -70kg Margaux Pinot, déjà méconnaissable en individuels, se faisait finalement dominer au bout d’un interminable « golden score » par une -63kg de vingt-et-un ans, Gili Sharir. Et Axel Clerget prenait ippon à son tour au tour suivant ! Menée 1-3, la France était dos au mur… L’artillerie lourde faisait le travail. Les deux médaillés olympiques Romane Dicko et Teddy Riner ramenaient la France à égalité. Dans ce cas-là, c’est un tirage au sort pour déterminer la catégorie qui s’affronte à nouveau. On prie pour Teddy Riner… et c’est Margaux Pinot qui sort du chapeau ! On lui tape sur l’épaule, le patron lui parle à l’oreille, tandis qu’elle s’avance en somnambule, privée de ses bonnes sensations. La voici menée aux pénalités, poussée au « golden score »… le destin semble avoir choisi son récit. Mais Pinot se révolte et monte la main pour placer un mouvement de jambe qu’elle ne fait jamais. Son uchi-mata marque et sauve la France.
© Paco Lozano/France Judo
© Paco Lozano/France Judo

Clarisse entre en jeu

On attendait le Brésil à ce niveau des demi-finales, c’est finalement les Pays-Bas qui passaient et venaient tenter de s’opposer à la montée de la France en finale. Opposé à Tornike Tsakajodea, un -60kg courageux, Guillaume Chaine continuait sur son sans faute avec un corps-à- corps implacable. C’est la championne olympique des -63kg, Clarisse Agbegnenou « herself », qui entrait alors dans l’arène dans cette catégorie des -70kg où Margaux Pinot avait déjà donné tout ce qu’elle avait. Face à elle, une médaillée olympique des -70kg redoutable, Sanne Van Dijke. Allait-elle s’imposer physiquement à notre championne olympique ? La Française lançait sans crainte une grande attaque de hanche… que la Néerlandaise parvenait à contrer en l’arrachant vers l’arrière.
© Paco Lozano/France Judo
Mais la fabuleuse combattante française se laissait flotter et contrait le contre dans les airs ! Axel Clerget, lui, en devait une à ses camarades : il profitait de la présence face à lui de l’un de ses meilleurs ennemis, le champion du monde en titre Noel Van T End, pour sortir le grand jeu et un formidable petit fauchage intérieur tout en réaction et en ampleur. Le « show » français était bien lancé. Trois à zéro, il en fallait une de plus, ce serait celle de Romane Dicko, qui ne se laissait pas déborder par le rythme de la double médaillée mondiale en -78kg Guusje Steenhuis, et la déroulait sur le flanc. La France avait trouvé son rythme. Les choses vraiment sérieuses pouvaient commencer.

Comme dans un rêve

Ce serait contre le Japon évidemment. Une nouvelle fois, la France allait s’opposer au Japon dans un combat par équipes, un Japon qui n’était jamais apparu aussi fort, chez lui. Rien de moins que quatre champions olympiques sur six combattants ! Un sacré mur.

Mais la France présentait de son côté la championne olympique des -63kg Clarisse Agbegnenou, accompagnée tout de même de trois médaillés olympiques, dont sa majesté Teddy Riner. Joli cadeau du destin, alors que les Français se lèvent et allument leur poste de télévision, les deux plus fortes équipes du monde vont s’affronter sans injustice majeure, chaque combattant ayant donné à peu près la même énergie sur le tapis en individuel – sauf en ce qui concerne la catégorie des -73kg, un dernier combat entre le champion olympique Shohei Ono et Guillaume Chaine, battu au second tour. Mais au dernier combat, nous n’y sommes encore pas.
Clarisse Agbegnenou © Paco Lozano/France Judo

Le premier est formidable, avec la championne olympique française des -63kg opposée à… la championne olympique japonaise des -70kg, Chizuru Arai ! Mais les téléspectateurs ont à peine le temps de se passionner : en deux petits fauchages intérieurs, la Française expédiait son adversaire. Quel début ! Frustré par son résultat individuel, Axel Clerget est remonté. Son adversaire, le vice champion du monde Shoichiro Mukai, est le plus gros point faible de l’équipe japonaise. Intenable, le Français appuie là où cela fait mal, travaillant le mental de son adversaire par son rythme constant et sa guerre à la saisie. Mukai se jette sur le dos, Clerget le contre et marque. La France mène deux à zéro ! Mais la petite lourde Akira Sone, dominante en individuels, gère avec facilité la puissante française Romane Dicko, qu’elle surprend sur o-uchi-gari avant de la bloquer au sol. À deux victoires à une, le Japon respire mieux. Mais c’est Teddy Riner qui s’avance côté français. Face à lui, non pas le poids lourd Harasawa, qui n’est même pas inscrit sur la feuille, mais le champion olympique des -100kg, Aaron Wolf. Un adversaire plus dangereux pour le Français sans aucun doute, qui a d’ailleurs déjà gagné le « Zen-Nihon », le prestigieux tournoi « toutes catégories » japonais. La bataille est féroce, serrée, technique. Dominé dans un premier temps par la garde de fer de Riner, le Japonais Wolf retrouve du mouvement et du rythme, commence à mieux s’exprimer alors que les deux combattants ont largement entamé le golden score. Teddy Riner va-t-il perdre son combat pour l’équipe ?

Le Japonais lance son formidable o-uchi-gari, que Riner, qui l’attend depuis le début, surpasse habilement et contre en harai-goshi. Waza-ari ! La France est passée. Mais il reste deux « monstres » japonais, la remarquable Tsukasa Yoshida en -57kg, face à la jeunesse talentueuse de la vice championne olympique française Sara-Léonie Cysique, et la légende vivante Shohei Ono face à Guillaume Chaine. Le Japon a encore toutes ses chances pour revenir à égalité et profiter d’un bon tirage au sort à venir. C’est maintenant la médaille d’argent des Jeux contre la médaille de bronze en -57kg… La plus solide, la plus ambitieuse des deux ? La jeune Française, qui n’hésite pas une seconde, se décale avec autorité, lance un uchi-mata tout en rotation et déroule sa rivale ! La Japonaise fera tout pour revenir. En vain. Shohei Ono peut baisser la tête sur le banc. La France a battu le Japon par quatre victoires à une pour le premier tournoi olympique par équipes. L’histoire est écrite.
Sarah-Léonie Cysique © Paco Lozano/France Judo

Teddy Riner, désormais triple champion olympique fait la synthèse devant les micros tendus : « On est entré dedans tout doucement, on s’est fait des frayeurs, mais les équipes c’est les équipes. On doit compter les uns sur les autres. C’est une immense fierté. La première échéance olympique au Japon, là où tout a commencé, et on a gagné. On l’a fait ! Qui l’aurait cru ? ». Lui, assurément.

Une victoire mentale

« C’était franchement deux ambiances. Eux, c’est très scolaire, nous on met la musique à bloc. Ça danse, ça respire le plaisir… ». Celui qui parle, c’est Kilian Le Blouch, remplaçant en équipe de France. Et ce qu’il décrit, c’est la période d’échauffement, juste avant la compétition par équipes. D’un côté le Japon, concentré et égal à lui-même, de l’autre une équipe de France qui n’hésite pas à sortir du cadre classique pour relâcher la pression et créer du lien, une dynamique qui va finir par tout emporter.

© Collection EDJ
Célébration au Trocadéro © France Judo
L’équipe de France a parfaitement joué la séquence, en parvenant non seulement à se mettre dans d’excellentes dispositions… mais aussi, sans doute, en mettant un peu en scène, sous les yeux de l’équipe japonaise, cette confiance affichée et ce plaisir d’être ensemble. La déstabilisation fait partie de l’art de la guerre. Le Japon avait préparé de main de maître ce rendez-vous olympique sur ses terres, battant tous les records de victoires individuelles. Sûr de sa force et de ses constantes victoires aux championnats du monde, il avait peut-être sous-estimé cette compétition par équipes. Un petit point faible dans lequel s’est engouffrée la furia francese. La France devra désormais constamment faire face, et notamment à Paris en 2024, à un Japon piqué au vif par ce « hold-up » originel.